Combien de temps, combien d’efforts et combien d’énergie déployons-nous quotidiennement à occuper des espaces. De l’espace du territoire à l’échelle d’une nation, à l’espace d’habitation à l’échelle d’une famille. Pour certains, l’espace d’un véhicule ou d’un bureau ou encore l’espace du corps. Il y a aussi l’espace social où se jouent nos relations aux autres que ce soit dans le champ amical, familial, amoureux ou professionnel.
Mais qu’en est-il de notre espace mental ? Quel temps y consacrons-nous ? Et quelle conscience y apportons-nous ?
Celui ou celle qui pratique le yoga sont justement amenés à penser cette question.

Dans les Yoga Sūtra 1.33 Patañjali dit :
maitrīkaruṇā – muditopekṣānām – sukhaduḥkha –
puṇyāpuṇyaviṣayānām – bhāvanātaḥ – cittaprasādanam |1.33|
« Cultivant [respectivement] la bienveillance, la compassion, la joie et l’équanimité pour les heureux, les malheureux, les justes et les injustes, le mental s’apaise et devient clair »[1]
Bhāvana signifie cultiver, imaginer, occuper son imagination, former ou encore créer des idées dans son esprit. En commentant le Yoga Sūtra 1.33 (ci-dessus) T. Krishnamacharya disait « Bhāvana, c’est cultiver de manière consciente une attitude juste et bénéfique en dépit de tendances contraires » (Source Yogastudies.com)
La pratique de Bhāvana consiste à cultiver de manière délibérée des schémas de pensée bons et constructifs afin de se façonner de l’intérieur. En investissant son « espace mental », le yogi empêche l’inconscient d’y inscrire toutes sortes d’idées qui, par définition, échapperaient à sa conscience. Et lorsqu’on connait le pouvoir des empreintes mentales sur nos actions et sur notre destin, on peut aisément concevoir l’intérêt d’une telle pratique pour celui qui s’engage sur le chemin de la transformation.
Dans son livre Samadhi[2], Gregor Maehle dit que pratiquer Bhāvana c’est se concentrer sur ce que l’on souhaite devenir et ce que l’on souhaite offrir. Le « Bhāvana suprême » étant de se penser comme une incarnation de l’amour divin et de s’imaginer comme un conduit à travers lequel cet amour rayonne vers tous les êtres.
Dans la Bhagavad-Gītā on retrouve également cette idée dans le chapitre XVII
sattvānurūpā sarvasya śraddhā bhavati bhārata |
śraddhāmayo’yaṃ puruṣo yo yac-chraddhaḥ sa eva saḥ || 3 ||[3]
«La foi de chacun se conforme à son être [son esprit]. C’est elle qui fait l’homme, telle foi, tel homme »[4]
Il est essentiel pour chacun d’investir (et même d’occuper) son espace mental en y cultivant ce qui tend vers le beau, le bon et le bien afin de tendre soi-même vers le bien et de construire les espaces qui nous ressemblent.
[1] « Le Yoga-Sūtra de Patañjali » traduction de Michel Angot, Edition Les Belles lettres – Collection Indika, Paris, 2012
[2] « Samadhi – The Great Freedom. » Gregor Maehle, Kaivalya Publications, 2015
[3] Source translittération : https://www.wisdomlib.org
[4] « Bhagavadgītā » traduction de Marc Ballanfat, Editions Flammarion, Paris, 2007