Sudarśana, roi des Cakra

Le mot Cakra signifie disque, roue, objet circulaire. Il dérive des racines Car ou Kram qui se rapportent toutes deux à une notion de mouvement. Très présent dans la vie spirituelle et la culture indienne, le disque est l’expression de l’infini et de la vérité ultime. Dans le ṚgVeda, la roue est à la fois le symbole du soleil et du temps et la marque de l’autorité souveraine. Dans le système du yoga, on retrouve les Cakra dans le corps subtil tout le long de l’axe central Suṣumṇā nāḍī. Ils représentent des centres énergétiques, « les étapes de notre évolution cérébrale [1] » et possèdent chacun des fonctions spécifiques. Mais le Cakra qui nous intéresse ici est d’une autre nature. Il s’appelle Sudarśana. Ce mot sanskrit est dérivé des racines de Su qui signifie bon ou approprié et Darśana qui signifie vision. Il s’agit donc de signifier la bonne vision, la vision de bon augure ou, comme le traduit Alain Danielou, le  « Bel-à-voir.»[2]

Viṣṇu sous l’aspect de Sudarśana Album de 200 illustrations des Dieux des Indiens par le brahmane Svami. Département des Estampes et de la Photographie © Bibliothèque nationale de France

Sudarśana cakra est un des attributs du dieu Protecteur Viṣṇu. C’est l’arme puissante dont il se sert pour rétablir et/ou maintenir l’ordre du monde, le Dharmā. « Le disque représente le mental »[3], « Le pouvoir sans limite qui invente et détruit les sphères et les formes de l’Univers dont la nature est la rotation. » [4] Sudarśana cakra a six rayons qui représentent « les six saisons du cycle de l’année … au centre est le moyeux (dans ce centre est inscrite la syllabe magique Hrīṃ qui représente l’immobilité, l’immuabilité)… Le cercle autour de la roue est Māyā, le divin pouvoir d’illusion. »[5] 

Il existe de nombreux récits mythologiques concernant l’origine et les circonstances par lesquelles Viṣṇu a pris possession de Sudarśana cakra.

Une origine solaire

Dans Viṣṇu Purana

Viśvakarmā, l’architecte des dieux avait marié sa fille Samjñā au dieu Soleil Sūrya.  Samjñā ne supportait pas la luminosité et la chaleur qui émanaient de son époux. Ce qui rendait la consommation du mariage impossible. Elle s’en plaignit à son père qui offrit de sculpter le corps et le visage de Sūrya de manière à amoindrir sa brillance et à le rendre plus facilement approchable. De la poussière solaire résultant de cette opération, Viśvakarmā créa, entre autres, Puṣpaka Vimānas, un véhicule aérien dont prit possession Kubera, le dieu des richesses. Triśūla, le trident qui devint l’un des attributs de Śiva, le dieu Destructeur. Et enfin, l’éblouissant Sudarśana cakra qui fut déposé au fond de l’océan.

Un don du feu

Dans le Mahābhārata [6]

Un jour, alors que Kṛṣṇa et son cousin Arjuna pique-niquaient sur les rives de la Yamuna, Agni, le dieu Feu, apparut affamé et épuisé suite à une interminable cérémonie de sacrifice. Il demanda aux deux jeunes hommes de lui venir en aide. Il demanda l’autorisation de consumer la forêt Khāṇḍava afin de reprendre un peu des forces. Cela lui fût accordé, mais c’était sans compter l’intervention d’Indra. En effet, le roi des dieux, seigneur de la foudre et de la guerre avait un ami du nom de Taksaka qui vivait dans cette même forêt. Pour le protéger, il devait absolument couper court au projet d’Agni. Il décida donc de faire tomber une pluie diluvienne sur la forêt pour empêcher Agni de répandre son feu.

Kṛṣṇa et Arjuna se sentaient démunis. Comment venir en aide à Agni ? Ils savaient qu’ils ne pourraient y parvenir qu’en soumettant Indra, mais par quel moyen ? Agni se proposa alors de fournir des armes redoutables et suffisamment puissantes pour combattre Indra. Il s’en alla méditer sur Varuna, dieu du Ciel et de l’Océan, et reçut en retour un char surmonté d’un drapeau portant en symbole un singe, un carquois plein de flèches qui ne se vidaient jamais, un arc appelé Gāṇḍīva et un disque appelé Sudarśana.

C’est à ce moment que Sudarśana cakra fût attribué à Kṛṣṇa, qui n’est autre qu’un avatar de Viṣṇu, alors que tout le reste fût attribué à Arjuna. L’histoire continue et l’épisode s’achève sur la victoire des deux jeunes hommes et le festin d’Agni avec la forêt Khāṇḍava.

La farce Divine

Une toute autre histoire

Dans la mythologie hindou, la lutte pour la suprématie qui oppose les dieux aux démons est un thème récurrent. Lors d’un de ces nombreux épisodes et alors qu’ils étaient en difficulté, les dieux ont sollicité l’aide de Viṣṇu. Ce dernier, ne disposant pas d’une arme suffisamment puissante pour affronter les démons, se proposa d’aller à son tour chercher de l’aide à auprès de Śiva. Il se rendit sur le Mont Kailāsa dans l’Himalaya où il trouva Śiva assis dans un état de méditation profonde.

Viṣṇu se mit alors à prier le seigneur Śiva en espérant que ce dernier sortirait bientôt de son état de transe. Mais Śiva resta absorbé dans cet état pendant plusieurs années. Viṣṇu, lui, continuait sa pénitence. Priant et chantant les noms de Śiva. Quand ce dernier se réveilla enfin, la joie de Viṣṇu fût immense. Il courut rassembler mille fleurs de lotus pour les offrir à son Seigneur avant de lui demander une faveur. Śiva était comblé par la dévotion de Viṣṇu, mais décida tout de même de tester sa sincérité en lui jouant un petit tour. Une sorte de farce Divine.

Secrètement, Śiva subtilisa l’une des 1000 fleurs de lotus. Il n’en restait donc que 999 ! Quand Viṣṇu s’aperçut qui lui manquait une fleur, il fût extrêmement embarrassé. Comment faire ? Il en fallait 1000 pour honorer son seigneur…  Alors, sans hésiter Viṣṇu arracha un de ces yeux et le plaça devant Śiva en guise de 1000e fleur. Ému par ce geste et satisfait par la dévotion immense de Viṣṇu à son égard, Śiva accepta de lui accorder une faveur. N’importe quelle faveur. Viṣṇu demanda une arme suffisamment puissante pour pouvoir livrer bataille, vaincre les démons et maintenir l’ordre du Dharmā. C’est donc à cette occasion que Śiva lui attribua Sudarśana cakra, « l’arme terrible qui tranche la tête des démons et des erreurs. »


[1] Yoga Meditation: Through Mantra, Chakras and Kundalini to Spiritual freedom, Maehle Gregor, Kaivalya Publications, 2013
[2] Mythes et dieux de l’Inde, Danielou Alain. Éditions Flammarion, 2009
[3] Viṣṇu Purana dans Mythes et dieux de l’Inde, Danielou Alain. Éditions Flammarion, 2009
[4] Ahirbudhnya Saṃhitā dans Mythes et dieux de l’Inde, Danielou Alain. Éditions Flammarion, 2009
[5] Nrsimha Purva Tapaniya Upanishad dans Mythes et dieux de l’Inde, Danielou Alain. Éditions Flammarion, 2009
[6] Le Mahabharata, Biardeau Madeleine, Éditions Le Seuil, 2002


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