Le yoga et la transcendance du Divin dans la Kaṭha Upaniṣad

La Kaṭha Upaniṣad ou kaṭopaniṣad est un recueil de vers qui rapportent un dialogue entre le jeune brahmane Naciketas et le dieu de la mort Yama. Leurs échanges tournent autour de la question de la destinée après la mort et de la nature de l’Esprit. Ce texte est rattaché à la branche Kāṭhaka du Kṛṣṇa (noir) Yajur-Veda. Il est composé de deux adhyāya (sections) regroupant au total six vallī (lianes).

Dans la Kaṭha Upaniṣad, Naciketas dont le prénom signifie : « celui qui ne cherche pas [le bien de ce monde] » autant que : « celui qui est détaché […] qui ne se fait plus de soucis »[1] a été envoyé à la mort par son propre père sur un coup de colère. Yama, absent pendant trois jours, n’a pu l’accueillir avec les honneurs de l’hospitalité. À son retour, et en guise de réparation, il accorde à Naciketas trois faveurs. Ce dernier commence par demander que la colère de son père soit apaisée. Puis que Yama l’instruise du feu sacrificiel. Ces deux faveurs lui sont accordées et Yama lui promet également que le feu portera dorénavant son nom, Naciketas.

Yama, « Divinités indiennes », Sud de l’Andhra Pradesh, vers 1720-1730, © Bibliothèque nationale de France.

Pour son troisième vœu Naciketas demande :

ADHYĀYA I, VALLI I

yeyaṃ prete vicikitsā manuṣye’stītyeke nāyamastīti caike |
etadvidyāmanuśiṣṭastvayā’haṃ varāṇāmeṣa varastṛtīyaḥ || 20 ||
[2]

Le doute qu’il y a eu au sujet de l’homme quand il est mort, « il est » disent les uns, « il n’est pas » disent les autres, je voudrais savoir cela, instruit par toi : telle est la troisième faveur des faveurs. || 20 ||

Traduction Louis RENOU [3]

Un doute subsiste sur le sort de l’homme après sa mort : selon les uns, il existe toujours, selon les autres, il n’existe plus. Quant à moi, je ne le saurai qu’après que tu me l’aies enseigné. Voilà, sur les trois vœux, le troisième de mon choix. || 20 ||

Traduction Martine BUTTEX [4]

Le second vœu formulé par Naciketas est en quelque sorte un sētu (pont) qui conduit vers le troisième souhait. Reliant ainsi symboliquement la question du feu sacrificiel à celle de la destinée après la mort.[1]

Yama cherche d’abord à détourner Naciketas de sa quête en le mettant à l’épreuve de la tentation. Mais Naciketas résiste et persiste. Yama reconnaissant sa sincérité consent à l’instruire de la nature de l’ātman universel (le grand Soi) et du puruṣa (la forme suprême du Soi, l’absolu ou encore l’Esprit) et à lui révéler le moyen de vaincre la mort et d’échapper à la roue des renaissances.

Pour décrire l’ātman Yama utilise la métaphore du char :

ADHYĀYA I, VALLI III

ātmānam̐ rathitaṃ viddhi śarīram̐ rathameva tu |
buddhiṃ tu sārathiṃ viddhi manaḥ pragrahameva ca || 3 ||

indriyāṇi hayānāhurviṣayām̐ steṣu gocarān ।
ātmendriyamanoyuktaṃ bhoktetyāhurmanīṣiṇaḥ || 4 ||

Sache que l’ātman est le maitre du char, que le corps est le char lui-même, que la raison, sache-le, est le cocher et que la pensée ce sont les rênes. || 3 ||

Les sens sont les chevaux, dit-on, les objets des sens, c’est leur carrière. Les experts appellent agent de jouissance ce qui est muni d’âme, de sens et de pensée. || 4 ||

Traduction Louis RENOU

Sache-le, le Soi est le maître du chariot; le corps est le chariot; le mental est le conducteur, et l’esprit est les rênes. || 3 ||

Les sens sont, dit-on, les chevaux; les objets visibles pour les chevaux et le mental sont la voie. Chez le sage, l’ātman – qui est couplé au corps, aux sens et au mental – est le maître qui jouit de la traversée. Le sage l’appelle “le jouisseur”.|| 4 ||

Traduction Martine BUTTEX

vijñānasārathiryastu manaḥpragrahavānnaraḥ |
so’dhvanaḥ pāramāpnoti tadviṣṇoḥ paramaṃ padam || 9 ||

L’homme qui a la connaissance (vijñāna) pour cocher, la pensée (manas) pour rênes, il atteint l’autre rive du voyage, le lieu suprême de Viṣṇu (le nom que prend le Brahman) || 9 ||

Traduction Louis RENOU

L’homme chez qui la fonction de discrimination est le conducteur du chariot, qui utilise un mental contrôlé en guise de rênes, cet homme-là suit la voie jusqu’à son terme – et il atteint à l’état suprême de Vishnu. || 9 ||

Traduction Martine BUTTEX

Par la suite, Yama décrit le parcours ascensionnel qui conduit le renonçant à l’autre rive du voyage (le lieu suprême de Viṣṇu). Il expose la hiérarchie des étapes, depuis les sens jusqu’à l’Absolu :  

ADHYĀYA I, VALLI III

indriyebhyaḥ parā hyarthā arthebhyaśca paraṃ manaḥ |
manasastu parā buddhirbuddherātmā mahānparaḥ || 10 ||

mahataḥ paramavyaktamavyaktātpuruṣaḥ paraḥ |
puruṣānna paraṃ kiṃcitsā kāṣṭhā sā parā gatiḥ || 11 ||

Au-delà des sens il y a les objets, au-delà des objets la pensée (manas), au-delà de la pensée la raison (buddhi), au-delà le grand Soi (mahān ātman) || 10 ||

Au-delà du grand (Soi) le non manifesté (avyaktam), au-delà du non manifesté l’Esprit (puruṣa), au-delà de l’Esprit il n’y a rien : il est le terme il est la voie la plus haute. || 11 ||

Traduction Louis RENOU

Les objets sensoriels sont plus subtils que les sens, et le mental est encore plus subtil qu’eux. L’esprit est encore plus subtil que le mental, et encore plus subtil que l’esprit est Mahat, l’Hiranyagarbha. || 10 ||

Le non-manifesté (avyakta) est plus subtil que Mahat, et encore plus subtil que le non-manifesté est le puruṣa. Il n’est rien qui soit plus subtil que le puruṣa:  Il est l’ultime fin, Il est le but suprême. || 11 ||

Traduction Martine BUTTEX

Ce trajet qui mène du sensible à l’absolu, Yama l’appelle YOGA et le décrit en ces termes :

ADHYĀYA II, VALLI III

yadā pañcāvatiṣṭhante jñānāni manasā saha |
buddhiśca na viceṣṭate tāmāhuḥ paramāṃ gatim || 10 ||

tāṃ yogamiti manyante sthirāmindriyadhāraṇām |
apramattastadā bhavati yogo hi prabhavāpyayau || 11 ||

Quand se tiennent au repos les cinq modes de connaissance avec la pensée, et que la raison ne bouge plus, c’est ce qu’on nomme la voie suprême. || 10 ||

On la comprend sous le nom de Yoga, cette ferme emprise sur les sens. On devient alors concentré, car le Yoga et production et résorption. || 11 ||

Traduction Louis RENOU

Quand les cinq sens qui concourent à la connaissance se tiennent ensemble au repos, couplés à un mental apaisé, et que l’intellect demeure concentré, ils favorisent à l’unisson cet état que l’on nomme l’union suprême. || 10 ||

Cette emprise ferme et continue sur les sens, voilà ce qu’on appelle yoga. Et cet état suprême de yoga, on doit user de vigilance pour le conserver, car s’il peut apparaître chez un être, il peut tout aussi bien disparaître || 11 ||

Traduction Martine BUTTEX

Et le dialogue s’achève, dans son avant dernier verset, sur une description de la transcendance de l’ātman :

ADHYĀYA II, VALLI III

aṅguṣṭhamātraḥ puruṣo’ntarātmā sadā janānāṃ hṛdaye saṃniviṣṭaḥ |
taṃ svāccharīrātpravṛhenmuñjādiveṣīkāṃ dhairyeṇa |
taṃ vidyācchukramamṛtaṃ taṃ vidyācchukramamṛtamiti || 17 ||

De la dimension du pouce l’Esprit (puruṣa), âme intérieure (ātman), est entrée de manière permanente dans le cœur des hommes. Il faut l’arracher de son corps avec fermeté comme la hampe du roseau, Il faut le reconnaître comme le pur, l’immortel. Il faut le reconnaître comme le pur, l’immortel || 17 ||

Traduction Louis RENOU

Le puruṣa, de la taille d’un pouce, qui est le Soi intérieur, est assis en tant qu’hôte permanent dans le cœur de toute créature vivante. On doit, par des efforts soutenus, Le séparer de son propre corps, de la même façon qu’on sépare la tendre tige de la feuille, dans un brin d’herbe. On doit parvenir à Le connaître dans Sa pureté et Son immortalité – oui, connaître le Lumineux et l’Éternel. || 17 ||

Traduction Martine BUTTEX


[1] Le Mahabharata, tome 1 : Un récit fondateur du brahmanisme et son. Biardeau Madeleine. Éditions du SEUIL, 2002
[2] Source translittération : wisdomlib
[3] Katha Upanishad – Collection Les Upanishad II. Renou Louis. Édité par Librairie d’Amérique et d’Orient Adrien Maisonneuve, 1943
[4] Katha Upanishad – Traduite et annotée par Martine Buttex d’après la version anglaise de Vidyavachaspati V. Panoli, et celle de Swami Nikhilananda, dans « The Upanishads – A New Translation


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